Haut lieu pour la biodiversité, l’Arctique est fortement impacté par le changement climatique. L’impact climatique le plus visible est la fonte de sa banquise. Cette conséquence profite au développement du transport maritime. À travers l’observation satellite nous montrerons comment la fonte des glaces accélère le commerce maritime et quelles en sont les conséquences.

État des lieux du transport maritime dans le Grand Nord

Vous souvenez-vous de l’Ever Given ? Ce porte-conteneurs géant de 20 000 conteneurs et long de 400 mètres était resté bloqué dans le canal de Suez (Égypte) le matin du 23 mars 2021 alors qu’il se rendait du port de Tanjung Pelepas (Malaisie) au port de Rotterdam (Pays-Bas).

Le porte-conteneurs Ever Given par Kees Torn – Wikimédia

Six jours plus tard, l’Autorité du canal de Suez était parvenue à libérer la coque du cargo taïwanais. Si les activités normales ont repris en quelques jours, l’incident a causé des pertes qui se chiffrent en millions. Pour n’en citer que quelques-unes, l’incident a affecté plus de 200 navires des deux côtés du canal, dont beaucoup ont décidé d’emprunter la route alternative pour le trafic maritime entre l’Asie et l’Europe en contournant le continent africain, un trajet d’environ 9 000 km.

Environ 12 % du commerce mondial total passe par le canal de Suez. Les enjeux dans le contexte de la logistique mondiale sont primordiaux, et les chiffres économiques sont si élevés qu’il faut parler en milliards de dollars pour ne pas se perdre dans les zéros. 

Il est donc clair que toute perte de distance en miles nautiques ou tout retard a un impact économique énorme sur l’industrie. En fait, le raccourcissement des distances maritimes est la raison pour laquelle les célèbres canaux de Suez et de Panama ont été aménagés. C’est aussi la raison pour laquelle les compagnies maritimes et les géants de la logistique internationale se frottent les mains avec la fonte des glaces de l’Arctique.

La fonte des glaces arctiques ouvre les prochaines routes commerciales maritimes

Pour le comprendre, il faudra expliquer la composition actuelle de l’Arctique, les prévisions climatiques et les différents types de navires capables de naviguer dans cet océan aux conditions extrêmes.

L’océan Arctique est le plus petit et le moins profond des cinq principaux océans du monde. Mais il présente aussi une particularité bien connue : sa surface est gelée la majeure partie de l’année, avec deux types de surfaces, celles qui sont gelées même en été (pluriannuelles) et celles qui ne le sont que pendant certains mois de l’année. Le changement climatique accélère également la fonte, de sorte que la superficie totale de la glace pluriannuelle diminue chaque année.

Mais à quel rythme cette glace particulière diminue-t-elle ? En utilisant différents modèles climatiques, on peut prévoir l’évolution du climat et l’épaisseur de la glace de surface de l’océan pour les prochaines décennies. La valeur de l’épaisseur est essentielle pour comprendre pourquoi les industries du transport maritime s’intéressent à la fonte des glaces. Bien sûr, la surface de l’océan en hiver sera toujours gelée, mais en fonction de l’épaisseur, les navires marchands ( adaptés à cet effet ) seront capables de franchir la glace mince et de traverser un océan glacé sans trop de problèmes.

Les routes maritimes – The Wall Street Journal

Pour remettre les choses en perspective, la route de la mer du Nord entre la Chine et l’Europe est 40 % plus courte que la route du canal de Suez. Bien sûr, cette trajectoire gelée semble très utile d’un point de vue économique, mais combien de jours par an pouvons-nous l’emprunter ?

La détermination du type de navire qui sera en mesure de traverser telle ou telle zone de l’Arctique au cours des prochaines décennies a été effectuée par le programme d’observation de la Terre Copernicus par l’intermédiaire de son service “Changement climatique”. Nous avons notamment imaginé un type de navire marchand capable de franchir de la glace d’un an d’une épaisseur maximale de 1,5 mètre et utilisé le modèle climatique RCP8.5, défini comme le “statu quo” où aucune mesure significative n’est prise pour atténuer le changement climatique.

Chez Murmuration, nous adorons les cartes, c’est pourquoi nous allons représenter ces calculs en utilisant une projection azimutale équidistante centrée sur le pôle Nord. En rouge, les zones où les navires marchands ne peuvent pas passer. Dans cet exemple de mars pour la décennie 2030-2040, les navires marchands doivent emprunter la trajectoire classique du canal de Suez.

Nous observons ci-dessous le taux très élevé de perte d’épaisseur au cours, par exemple, du mois de février entre 2010 et 2050.

Enfin, nous constatons que la route maritime du Nord s’ouvre de juillet à janvier au cours de cette décennie. En janvier, la glace bloque le chemin et en juin, la glace fond, l’ouvrant à nouveau. À titre de comparaison, voici les mois pendant lesquels la route sera ouverte au cours de l’année pour chaque décennie depuis 2010.

Le changement climatique inéluctable fait fondre les pôles. Cela permet aux routes commerciales d’être ouvertes pendant de nombreux mois supplémentaires de l’année. Cette augmentation du nombre de mois d’ouverture permet le développement de grands ports et de nouvelles activités économiques partout où pointent nos boussoles.

Dans quelle mesure l’activité économique dans l’Arctique est-elle négative ? 

Conséquences environnementales

D’après The Essential Daily Briefing : « Il a été estimé qu’un seul de ces porte-conteneurs, d’une longueur d’environ six terrains de football, peut produire la même quantité de pollution que 50 millions de voitures. Les émissions de 15 de ces méga-navires sont comparables à celles de toutes les voitures du monde. Et si le secteur du transport maritime était un pays, il se classerait entre l’Allemagne et le Japon au sixième rang des contributeurs aux émissions de CO2. »

Outre le CO2, bien sûr, les navires rejettent également des dioxydes d’azote et de soufre (NO2 et SO2). Depuis une vue satellite et grâce aux capacités du satellite Copernicus Sentinel-5P, nous voyons les traces laissées par ces gros cargos lors de leur passage dans le canal de Suez et sur la mer Rouge.

Niveaux de dioxyde d’azote au-dessus du Moyen-Orient – ESA
Conséquences économiques

La possibilité d’une voie de navigation transarctique a éveillé l’intérêt des pays. Que ce soit en augmentant la capacité des ports existants ou en construisant de nouveaux ports pour accueillir les plus gros navires, le Canada, le Groenland et les États-Unis sont tous des candidats potentiels pour attirer ce flux attendu. Comme nous l’avons mentionné précédemment, cela s’accompagne d’une pression environnementale accrue sur les régions nordiques. Cependant, d’un point de vue global, cette augmentation de la pollution dans le nord devrait entraîner une diminution de la pollution dans la région méditerranéenne et au Moyen-Orient (le canal de Suez). De plus, grâce à un trajet plus court, cela pourrait conduire à une diminution réelle de la pollution due aux transports à l’échelle mondiale. Ces hypothèses de base ne prennent évidemment pas en compte le contexte local des routes maritimes, mais discutent uniquement, et simplement, de la responsabilité globale des gaz à effet de serre. 

Parallèlement à cette augmentation du flux commercial international vient la partie loisirs et tourisme. En effet, plus la période d’ouverture est grande, plus il est probable que de grandes croisières de loisirs puissent naviguer dans les mêmes zones. Amener les touristes vers de nouvelles destinations dans ces zones moins explorées semble également très intéressant pour l’industrie du tourisme. Avec un risque élevé d’une nouvelle détérioration de l’environnement.